Ton corps se raidit. Tout ton être s’immobilise brusquement, quasi brutalement. Dans cette position presque intime avec la cuve, tes yeux demeurent ouverts et paralysés par ce qu’ils perçoivent : son regard. Ses yeux ouverts sur les tiens. Son regard qui te perce et se fond dans ton esprit comme pour lire en toi comme dans un livre ouvert. Esprit supérieur auquel tu ne pourrais dissimuler le moindre de tes secrets, et le moindre de tes crimes. Tu ne cherches même pas à lutter. Tu demeures face à un langage muet. Un silence aussi évocateur qu’intriguant au possible. Cela ne dure qu’une poignée de secondes. Une dizaine tout au plus. Mais tu sens la puissance de ce contact entre vos yeux et vos êtres. Il te marque de par ses iris tout bonnement uniques. Toi, la femme qu’on ne déstabilise pas et qui ne vascille jamais autrement que par un plaisir de chair, te voilà totalement troublée et brusquée dans les tréfonds de ta psyché et de ton âme. Il s’est éveillé à toi. Il a donné signe de vie, tel un signe d’écoute, avant de replonger dans ce sommeil apparent et d’une patience rendant fou d’impatience le plus patient des esprits. Ta bouche demeure entrouverte. Aucun son n’en sort. A-t-il ouvert ses yeux par simple réaction, ou pour répondre à tes mots, ou marquer son intérêt à ton égard?

Beaucoup trop de facteurs inconnus à prendre en compte. Ta surprise se gâche toutefois par le zèle d’un scientifique n’ayant pas manqué d’assister à cette réaction. L’étrange réponse de ce cloisonnement des paupières de Mewtwo correspond en tout cas à ce cri de stupeur et l’arrivée dudit scientifique. Est-il le responsable de la rupture de ce contact? Tu t’en persuades suffisamment pour relâcher la cuve. Ta main se saisit autour de sa gorge et malgré ta taille fine, c’est sans mal que tu le plaques lourdement contre les moniteurs sur le côté. Tes ongles se serre sur sa carotide et les abords de sa pomme d’Adam. Ton regard est furieux. Incendiaire. Mortel. “Que je ne sois plus jamais témoin de votre stupidité et de votre maladresse, est-ce clair jeune homme?!” Les autres scientifiques arrêtent l’ensemble de leurs tâches pour observer la scène, à la fois impressionnés, pantois et pour le moins paniqués. “Je… Ou… Oui… Mad… Madame Quartz…” Il se raccroche à ta main, à tes doigts, son visage virant déjà au rouge sous l’air que tu lui empêches d’inspirer. La contrariété ne te sied guère. Étrangement, des individus ne connaissent pas encore suffisamment ta réputation pour l’imprimer dans ce qui leur sert de cervelle!

“Vous et votre équipe faites votre grande démonstration demain, c’est bien ça?” Siffles-tu d’une voix digne d’un Seviper prêt à mordre tout en répandant son venin. “Argh… Ou… Oui… Madame…” Tes iris pratiquement aussi sombre que ta rage continue de se planter dans les yeux crispés de ta victime. “Alors dites à votre responsable que les résultats ont intérêt à être à la hauteur de mes attentes. Sinon, autant lui que vous subirez un châtiment bien pire que ce que vous subissez en ce moment même, me suis-je bien faite comprendre?” Devenu visiblement incapable de parler, il hoche difficilement de la tête en signe de compréhension avant que tu ne relâches prise. Le scientifique retombe à quatre pattes, une main sur sa gorge et reprenant son souffle au possible. Tu ne prononces absolument aucun autre mot. Tu te contentes simplement de tourner les talons afin de sortir de ce laboratoire. Si la frustration reste de mise, une forme de contentement et d’intérêt en restent plus que présent de parce qu’il s’était passé. Que le scientifique s’estime heureux que tu n’aies pas été plus loin encore… Car tu en étais largement capable! Relativisons toutefois quant au fait que sa médiocrité ne méritait pas de venir salir tes ongles!

Ton esprit ne peut se défaire de cette image perçue et imprimée par tes yeux. Ta mémoire n’oubliera jamais cet instant car elle en est incapable. Et même si elle le pouvait, tu ne souhaiterais nullement que cela s’efface. Outre le corps de cette créature, ses yeux. Son propre regard. Les humains prétendent qu’un regard est le reflet d’une âme. Si tel est véritablement le cas, tu peux cerner chaque nuance de colère, de puissance et d’individualité que cherche à atteindre la création captive. Froid. Critique. Observateur. Jugeant. Perçant. Il n’a clairement pas la médiocrité d’un Mélofée ou la stupidité d’un Qulbutoké. Son allure et la prestance de son regard supplantent toutes les représentations des autres légendaires connus jusqu’à ce jour. Charisme inattendu d’un artificiel devenu plus réel qu’il ne l’était lors de sa conception. Ce regard risque de te marquer, même de te hanter encore et encore. C’est une évidence et une certitude que tu ne cherches même pas à fuir. Et une image que tu ne cesses de voir et revoir lorsque tu pénètres dans ta limousine et que ton regard se pose à travers la fenêtre du véhicule. Qu’importe le paysage glissant sous tes yeux : seule l’image de Mewtwo t’importe!

Contemplation perdue dans ton imagerie et dans la durée de ce trajet, la vibration de ton téléphone t’arrache à tes songes pour te ramener à la réalité. Attrapant le petit appareil, tu observes l’appelant. Autumn. Ça va. Elle ne te dérange jamais. “Je t’écoute.” Décroches-tu de ta voix stoïque. L’expression aurait pu être différente si tu avais été dans ta chambre d’hôtel, loin de la présence du chauffeur du véhicule dans lequel tu te trouvais. “Je ne serai pas de retour avant demain soir, au plus tôt.” L’informas-tu face aux différentes nouvelles qu’elle t’annonçait concernant le casino. Une fenêtre de détails n’inspirant aucune importance face à ce que tu vivais actuellement. “J’aimerais que tu puisses voir ça de tes yeux : il est magnifique!” Elle connaissait parfaitement la raison de ta présence sur l’île. Tu ne pouvais et n’avais nullement envie de lui mentir, même si tu ne t’exposes pas davantage dans tes propos et confessions. “Non. Refuse leur proposition. Il est hors de question qu’ils espèrent nous faire du chantage.” Glisses-tu sans que ton interlocutrice ne soit surprise de ta décision. “Je te recontacte quand je serai de retour à mon hôtel… Oui… À toute à l’heure.” Raccroches-tu finalement. Tu es beaucoup plus à l’aise pour des conversations aussi privées que secrètes avec ton Autumn. Et même les oreilles d’un chauffeur pouvait être de trop - encore plus dans le cas présent!

Ta limousine arrive à sa destination. Sans glisser un seul mot au chauffeur, tu descends du véhicule pour regagner l’intérieur de l’hôtel. Tu n’as nullement besoin de te perdre en sociabilité. Et si cela semble déranger certains conducteurs de ne pas pouvoir partager une bonne conversation, ils ont généralement tendance à se consoler avec le généreux pourboire qui accompagne leur tarif. Tu avais tellement d’ambition et de désir de toucher à tous les milieux financiers qu’une partie de toi se voulait persuadée que tout l’argent que tu investis et dépenses finirait par te revenir à un moment ou l’autre. Et si tel n’était pas le cas? Eh bien tu n’étais clairement pas une personne dans le besoin. La précarité est d’ailleurs une notion qui ne pourait jamais t’atteindre, même si tu le cherchais. Tu gères ton argent mieux qu’une armée d'experts-comptables. Tes comptes se multiplient sous une fraction de ta fortune pour que chaque épargne soit indépendante de l’autre et assure une continuité financière même en cas de coups durs. Tu ne pourras jamais être l’une de ces prolétaires ou de ces miséreuses. Pas en tant que Cranston! Ton intelligence réellement supérieure se combinait avec ton sens des affaires et maîtrise des chiffres. Même chercher à t’escroquer entièrement paraissait digne d’une mission plus que impossible!

Tu regagnes l’intérieur de ta suite. Beaucoup trop grande pour toi seule. Mais au dernier étage de l’hôtel et luxueuse au possible, comme tu savais parfaitement l’apprécier. C’était un milieu dans lequel tu avais grandi. Le faste. Le luxe. La grandeur. Le surplus d’espace pour une seule et unique personne. C’était en quelque sorte tout ton univers si l’on met de côté tes années d’internat hors de Kanto. En compagnie ou non de ton bras droit, de celle qui représentait tout, tu ne déroges jamais à cette habitude de choisir le plus onéreux et le plus rutilant, juste pour le plaisir de ton égo et ta satisfaction personnelle. Avant de procéder à quoi que ce soit, ton réflexe est de te rendre dans ta chambre afin de te libérer des vêtements que tu as porté toute la journée durant. Seules pièces encore présentes sur ton corps? La dentelle de tes sous-vêtements qui viennent bientôt être rejoints par un peignoir de satin, aussi sombre que la couleur de tes dessous. Tu sens enfin ton corps respirer. Être libérer de toute entrave… Sensation divine qui s’opère, même chez toi, en pratiquant ce que tout un chacun pratique sous la notion de ‘se mettre à l’aise’.

Corps qui se déhanche et s’avance vers le bar. Ce serait mal te connaître de croire que tu chercherais à noyer ta solitude avec l’alcool. Tu es davantage une amatrice de liqueur et de bons whiskys. Ils te caressent l'œsophage dans une brûlure qui réchauffe autant qu’elle enivre. Mais cela représente également une saveur particulière t’aidant à te déconnecter ou, tout du moins, à souffler et te détendre. En réalité, tu as surtout pris l’habitude d’en consommer à toute heure du jour ou de la nuit. Alcoolique? Oui et non. Oui dans ta consommation journalière. Non car tu pourrais te passer d’un verre sans pour autant entrer en crise de panique ou d’angoisse. Mais si ce monde doit t’appartenir, autant agir à ta guise sans rendre de compte à qui que ce soit, n’est-ce pas? C’est donc verre à la main que tu te diriges vers la terrasse de la suite. Le couchant teinte l'île de feu d’un somptueux ciel orangé. Étrangement, tu arrives totalement à savourer le délice d’une vue aussi particulière. Ta froideur et tes inexpressions ne veulent pas dire que tu n’as pas une âme, ni même une forme de sensibilité. Même si tu tuerais la moindre personne évoquant ladite sensibilité en question!

Gorgée que tu saisis. Gorgée qui te brûle si agréablement l'œsophage. Tu tentes de demeurer fixe face à l’horizon et de n’en percevoir que toutes ses volutes orangées. Pourtant, une fois encore, ce ne sont que ses yeux qui reviennent hanter ton esprit. Tu revis cette boucle de cette ouverture de paupière offrant deux iris venant trancher et fendre ton âme dans une manière unique de te percer à jour. Oui. Cette conviction te brûle les lèvres, les doigts, la peau et le corps. Conviction qu’il a lu en toi. Qu’il s’est glissé de manière sinueuse sous ton être, sous ta peau, juste pour sonder et juger ton âme. Afin de savoir si tu étais digne? S’il pouvait t’accorder sa clémence? Ou, plus important encore, sa confiance? L’ironie veut qu’une partie totalement cartésienne et extrêmement raisonnable cherche à chasser cette éventualité comme une folle chimère imaginaire. Naissance d’un débat silencieux où ta raison va s’entrechoquer à un mélange d’intuition, d’espérance, de songe et de folie nullement contrôlée. Vas-tu te retrouver dans la position qu’occupe de grands cinglés guidé par un objectif irréalisable et pour lequel on en vouerait presque un culte? Non. Toi, tu es plutôt celle qui offre de te suivre ou de périr. Si ce n’est que tu ne te vois nullement tuer une telle perfection en cas de refus de sa part.

Mais tu n’es pas une femme à qui on peut dire non. Ce que tu veux, tu l’obtiens toujours. Si ce n’est pas par la douceur, ou par la bonté, alors ce sera par la force, le chantage, la violence ou parfois même le meurtre. Mewtwo ne pouvait échapper à cette manière que tu avais de fonctionner et de régir chacune de tes possessions. Il serait tiens! Et quand bien même chercherais-tu à avoir son obéissance, sa confiance et son respect, il n’en restait pas moins qu’un Pokémon de plus dans la symbolique la plus pure. Une race unique parmi toutes celles peuplant ce monde et dont tu n’as pas pour réputation de t’émouvoir de leur sort. Qu’il puisse arriver malheur, qu’une de ces créatures souffre, saigne ou meurt sous tes yeux… Si ce n’est pas l’un des tiens, tu n’en n’auras cure. Sans doute pour cela que tu ne prendrais aucun plaisir à maltraiter cette créature génétiquement conçue par la science. Mais si tu n’en n’avais d’autres choix que pour arriver à tes fins… Alors soit! Car toute sa grandeur, toute sa beauté, toute sa prestance, toute l’aura légendaire qu’il peut trainer derrière lui ne changera jamais ce que tu es au plus profond de ton être : Sélène Cranston!

Sous le couchant, tu termines ton verre sous le berceau de tes pensées. Tes pieds se tournent. Ton corps pivote. Princière, tu traverses la suite et te rend jusqu’à la salle de bain de cette dernière. Téléphone en main, tu déclenches l’eau du bain de l’autre alors que tes phalanges tenant l’appareil pianotent machinalement sur l’écran tactile. Destinatrice? Autumn bien sûr! Elle sera un bon moyen pour essayer de penser à autre chose. D’autant que tu as réellement besoin de ses nouvelles. Tu ne lui diras pas, car ce n’est pas dans ton style, mais elle te manque. Lorsque son absence à tes côtés dépasse la dizaine d’heure, tu ressens le manque de sa voix, de son aura, de son parfum et même de sa chair. Étrange addiction pour celle qui partage officieusement ta vie beaucoup plus qu’on ne pourrait le croire. Sous cette montagne d’émotions que tu n’évoqueras jamais, tu es autant impatiente d’arriver à la démonstration de demain que tu aimerais pouvoir rentrer et savourer un bain en sa compagnie. Mais au lieu de lui dire? Vous échanger rapports, informations et multiples points d’attention… Que cela aille de l’arène à la Team Rocket tout en passant par le Casino… Ou de futurs projets!

Eau moussante au possible. Bouteille de whisky embarquée avec un verre, juste à tes côtés. Ton corps nu est entièrement immergé alors que tu ne lâches pas un instant ton téléphone des mains. Tu consultes mails et messages en tout genre. Tu ne cesses en parallèle de répondre du tac ô tac à celle qui est définie comme ton assistante personnelle: Autumn. Ton Autumn! Autumn fait un travail remarquable! Si tu as un regret à émettre, c’est de ne pas l’avoir emmenée avec toi directement à Kanto. Tu étais trop concentrée sur le cas de ton père et sur les possibilités d’avenir qui s’offraient à toi. Tu as été égoïste, ne pensant qu’à ta personne. Comme toujours en fin de compte. Et cette brunette exceptionnelle au charme hypnotisant est parvenue à réaliser l’impossible : faire plier ton âme et te faire ressentir le besoin, le manque et la douleur d’en être séparée. Ce n’était pas qu’au nom de votre amitié scolaire que tu l’avais invité à te rejoindre. Ce n’était pas que pour travailler avec une personne en qui tu aurais pu confier ta vie les yeux fermés. C’est bien plus que ça… Et ça a toujours été bien plus que ça… Comme ça le sera toujours d’ailleurs…

Si tu étais clémente, tu pourrais remercier ton père de t’avoir exilé dans une autre région afin de forger de toi l’excellence qu’il désirait. Tu pourrais non seulement le remercier de t’avoir permis d’hériter d’un empire financier plus que juteux. Autant que tu pourrais le remercier de t’avoir mis dans cette école où ta route a croisé celle de ce qui s’apparente le plus à ta moitié. Il est assez ironique de prendre conscience qu’il y a des personnes que l’on n’attend pas. Que l’on n’imagine pas. Et que l’on ne cherche pas à rencontrer, ni même à connaître. Et pourtant, dès lors où elles entrent dans votre vie, vous ne pouvez plus imaginer la suite de votre existence sans elles. Telle était le cas de ton assistante, de ton amie, de tout ce qu’elle est à tes yeux. Si tu tues par besoin, devoir, travail, obligation, ou encore par plaisir, tu le ferais gratuitement pour tous ceux qui oseraient un jour craché sur elle, ou ne fut-ce qu’effleurer le moindre de ses cheveux. Un mot de travers vis-à-vis de la personne qui possède ton âme entre ses mains, et ce serait une torture abominable où l’on te supplierait même d’achever ta victime…